L’église du Vieux-Castéra
Le Vieux Castéra, commune de Castéra jusqu’en 1821, perché sur son promontoire dominant l’Auloue, correspond à un type de site souvent utilisé au Moyen-Age car facile à fortifier. Ce hameau conserve son église, déclassée en 1844, et qui reste propriété communale.
Cette église a été dédiée à Saint-Blaise, évêque arménien martyr qui aurait été dépecé par ses bourreaux à l’aide de peignes de fer vers l’an 316. Les cardeurs ont choisi Saint-Blaise pour patron; on l’invoquait aussi pour des maux de gorge.
L’église est attenante à l’ancienne tour-salle constituant un rempart et permettant l’accès au village par la porte est.
Dans l’état actuel des connaissances, on peut dire que l’église date du XIII ème siècle, du moins pour sa partie la plus vieille.
Elle est caractéristique des églises de Gascogne, d’abord avec son clocher-mur à trois arcades dont il reste une cloche. (Le département du Gers compte près de trois cents églises à clocher-mur). Ensuite, elle est à nef unique, n’a pas de transept ni de bas-coté, n’est pas voûtée, son toit à double pente est couvert de tuiles canal.
Hélas, toute la toiture protégeant la chapelle latérale au nord s’est récemment effondrée! La voûte en ogives (une clef circulaire au sommet et quatre bras) de cette chapelle a donc été entraînée dans la chute. Le joyau de la chapelle subsiste: il s’agit de la fenêtre nord géminée, elle est partagée en deux par un meneau à moulures et magnifiquement décorée de courbes et contre-courbes.
L’entrée dans l’église peut se faire par le large porche sans abri donnant sur l’ouest ou par la petite porte cloutée du nord.
Toute la charpente de chêne est apparente. La lumière filtre par les trois petites fenêtres des travées du sud. Un enfeu a été ouvert sous un arc brisé, il contraste par sa finesse avec le reste de la nef. Il porte encore les traces de peinture ocre.
En face, sur le mur nord, un linteau de style Renaissance surmonte une petite niche. L’ancienne porte ouest permettait l’accès à la sacristie totalement détruite.
L’église est bâtie de pierres calcaires de carrières de proximité. Pour assurer une bonne assise au vu de la déclivité sud, elle a dû être stabilisée par d’imposants contreforts, quatre au total.
Son clocher
Il y a encore une génération, on entendait parfois sonner la cloche du Vieux Castéra, c’était lorsque l’orage se faisait menaçant pour les récoltes. En effet, un préposé était chargé de tirer violemment sur la chaîne, il faut dire que la cloche porte en latin une invocation à la Vierge lui demandant de repousser le tonnerre.
Avant la révolution française de 1789, royauté par « grâce divine » notre pays était morcelé en de très nombreuses paroisses. Sur l’étendue de notre seule commune actuelle les fidèles se rassemblaient suivant le lieu de résidence à Verduzan ou la Claverie ou Castéra ou Mesples (Juillac) ou saint Pé ou Peyrouau…Là avaient été édifiées église ou chapelle, toutes munies de cloches. Un effort d’imagination est nécessaire pour nous placer dans un étrange espace sonore qui rythmait la vie des générations d’alors. En effet, point de bruits de moteurs, seule la voix humaine , cris et chants d’oiseaux, machines et outils mus par la force animale ou humaine, souffle du vent et écoulement ou ruissellement des eaux. Parfois le tonnerre ou le canon pouvait de temps à autre imposer leur puissant grondement et dominer le son de chacune des cloches souvent en mouvement.
Trois de ces anciennes paroisses ont traversé le temps et sont devenues communes en 1789. Castéra – aujourd’hui Vieux Castéra – conserve son église que notre association tente de sauver et présente encore dans une des trois arcades de son caractéristique clocher mur une cloche telle une dent dans une bouche édentée. Pourquoi est-elle seule?
La fréquence des sonneries, l’intensité de leur volume sonore, les codes utilisés définissant un environnement sonore. Ainsi les sonneries des cloches de Castéra – comme les autres – étaient un véritable langage, un système de communication qui tissait des liens entre les individus et contribuait à former les identités individuelle et communautaires. L’ancêtre du « Grand Jean » par exemple était sur « la fréquence Vieux Castéra » et ses journées étaient ordonnées selon un code qu’il comprenait parfaitement : heures, travail, cérémonies religieuses, décès… mais aussi dangers, informations, prévention contre la foudre, mobilisation. On apprenait à l’environnement d son clocher. Le pouvoir était donc détenu par celui qui avait autorité sur cet environnement.
La révolution française va attaquer ce privilège en confisquant de nombreuses cloches qui avaient été souvent payées par les proches habitants. L’Assemblée Constituante décide au début de l’été 1791 de renoncer à la vente de cloches mais de les convertir en monnaie distribuée en pièces de 5 sols, de 2 liards et de 1 liard puis en pièces de1 décime, 5 centimes et 1 centime puisque vient d’être créé un nouveau système monétaire. Cette monnaie, transformation du bronze, est appelée monnaie de billon. La monnaie se répand dans nos campagnes pour se substituer au troc très généralisé alors. Les pièces d’argent et d’or étaient réservées aux riches marchands traitant de grosses affaires.
La descente des cloches ainsi que leur transport sont mis aux enchères. Les autorités surveillent le charpentier et autres artisans réquisitionnés pour décrocher et descendre la cloche avant de la peser et la transporter vers l’hôtel des monnaies. Elles tiennent aussi à distance une population curieuse et hostile rassemblée au sommet du coteau « mous ban pana uo campana » (ils vont nous voler une cloche). Il faut également noter une certaine résistance manifestée par la lenteur dans l’exécution des tâches. En effet plusieurs de nos Castérois vivent cela comme un vol d’une très ancienne possession collective qui fédère autour du sentiment religieux (imposé) et par l’organisation de l’espace sonore défini.
La loi du 23 juillet 1793 enjoint de réduire à une cloche unique la sonnerie des églises en service. Les cloches dorénavant réquisitionnées iront à la fabrication d’armes car la France est de toutes parts assaillie par des troupes contre-révolutionnaires. Nous venons même de déclarer la guerre à l’Espagne en mars. Les troupes traversent le Gers qui ne peut ainsi rester à l’écart de toute nouveauté, notamment des idées et des lois.
L’esprit nouveau issu des Lumières, porteur d’égalité, de liberté et d’émancipation, souligne que la cloche n’est qu’un objet matériel, masse de bronze. Elle ne renferme en ellke aucune spirialité que constitue la religion. L’utilisation de la cloche sera citoyenne et annoncera les dangers, les rassemblements, certains événements. L’ordonnateur de sonnerie sera la récente municipalité issue de la Révolution.
L’été 1794, la France va totaliser une impressionnante masse de cloches fondues. En trois ans l’information sonore a été bouleversée, le Vieux Castéra n’a plus qu’une cloche comme la majorité des paroisses. Les gouvernements de la Convention et du Directoire vont tenter de réserver l’usage des cloches au pouvoir civil et interdire par lois de 1795 et 1796 les sonneries religieuses. Le son du tambour est maintenant bien souvent chargé de précéder toute annonce publique.